Podobne

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d'un autre ton, et les gens passeront autrement entre les chaises ; ainsi la vague
de bonne humeur s'élargira autour de vous, allégera toutes choses et vous-
même. Cela est sans fin. Mais veillez bien au départ. Commencez bien la
journée, et commencez bien l'année. Quel tumulte dans cette rue étroite ! que
d'injustices, que de violences ! le sang coule ; il faudra que les juges s'en
mêlent. Tout cela pouvait être évité par la prudence d'un seul cocher, par un
tout petit mouvement de ses mains. Sois donc un bon cocher. Donne-toi de
l'aise sur ton siège, et tiens ton cheval en main.
2 janvier 1910
Alain, Propos sur le bonheur (1928) 171
Propos sur le bonheur (1928)
LXXXI
VSux
20 décembre 1926
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Tous ces souhaits et tous ces vSux, floraison de janvier, ce ne sont que des
signes ; soit. Mais les signes importent beaucoup. Les hommes ont vécu
pendant des siècles de siècles d'après des signes, comme si tout l'univers, par
les nuages, la foudre et les oiseaux, leur souhaitait bonne chasse ou mauvais
voyage. Or, l'univers n'annonce qu'une certaine chose après une autre ; et
l'erreur était seulement d'interpréter ce monde comme un visage qui aurait
approuvé ou blâmé. Nous sommes à peu près guéris de nous demander si
l'univers a une opinion, et laquelle. Mais nous ne serons jamais guéris de nous
demander si nos semblables ont une opinion, et laquelle. Nous n'en serons
jamais guéris, parce que cette opinion, dès qu'elle est signifiée, change profon-
dément la nôtre.
Chose digne de remarque, on se trouve plus fort contre une opinion
appuyée de raisons, et en paroles explicites, que contre une opinion muette. Le
premier genre d'opinion, qui est conseil, il faut souvent le mépriser ; l'autre, on
ne peut le mépriser. Il nous prend plus bas ; et, comme nous ne savons pas
comment il nous prend, nous ne savons pas nous en déprendre. Il y a de ces
visages qui portent affiché comme un blâme universel. En ce cas, fuyez si
Alain, Propos sur le bonheur (1928) 172
vous pouvez. Car il faut que l'homme imite l'homme ; et me voilà, par le jeu
de mon visage et sans que je puisse m'en rendre compte, me voilà moi aussi à
blâmer. A blâmer quoi ? Je n'en sais rien. Mais cette couleur triste éclaire
toutes mes idées et tous mes projets. Je cherche des raisons en ces idées
mêmes et en ces projets mêmes. Je cherche des raisons et j'en trouve toujours,
car tout est compliqué et il y a des risques partout. Et, comme enfin il faut agir
et se risquer, quand ce ne serait que pour traverser une rue, j'agis sans con-
fiance, c'est-à-dire moins vivement, moins librement. Un homme qui a l'idée
qu'il va se faire écraser n'est point aidé par là, mais au contraire paralysé. Dans
les affaires plus longues, plus composées, plus incertaines, l'effet de ces
pressentiments que l'on reçoit d'un visage ennemi est encore plus sensible. Un
certain Sil sera toujours sorcier.
J'en reviens à cette fête de la politesse, qui est une importante fête. Dans le
temps où chacun regarde cet avenir sur carton, que le facteur nous apporte, il
est très mauvais que ces semaines et ces mois, que nous ne pouvons connaître
tels qu'ils seront, soient teints d'humeur chagrine. Bonne règle donc, qui veut
que chacun soit bon prophète ce jour-là, que chacun élève les couleurs de
l'amitié. Un pavillon au vent peut réjouir l'homme ; il ne sait pas du tout quelle
était l'humeur de l'autre homme, de celui qui a hissé le pavillon. Encore bien
mieux, cette joie affichée sur les visages est bonne pour tous ; et, encore
mieux, de gens que je ne connais guère ; car je ne discute pas alors les signes ;
je les prends comme ils sont ; c'est le mieux. Et il est profondément vrai qu'un
signe joyeux dispose à la joie celui qui le lance. D'autant que par l'imitation
ces signes sont renvoyés sans fin. Ne dites point que la joie des enfants est
pour les enfants. Même sans réflexion, même sans affection aucune, nous
faisons grande attention aux signes des enfants ; chacun ici est nourrice ;
chacun commence ici le jeu d'imiter en vue de comprendre, par quoi on
instruit les enfants.
Ce jour de fête vous sera bon, que vous le vouliez ou non. Mais, si vous le
voulez, si vous retournez de toutes les façons cette grande idée de la politesse,
alors la fête sera vraiment fête pour vous. Car, disposant vos pensées selon les
signes, vous prendrez quelque forte résolution de ne jamais lancer, le long de
ces mois à venir, aucun signe empoisonné, ni aucun présage qui puisse
diminuer la joie de quelqu'un ; ainsi d'abord vous serez fort contre tous ces
petits maux qui ne sont rien, et dont la déclamation triste fait pourtant quelque
chose. Et, par ce bonheur en espoir, vous serez heureux tout de suite. C'est ce
que je vous souhaite.
20 décembre 1926
Alain, Propos sur le bonheur (1928) 173
Propos sur le bonheur (1928)
LXXXII
La politesse
6 janvier 1922
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La politesse s'apprend comme la danse. Celui qui ne sait pas danser croit
que le difficile est de connaître les règles de la danse et d'y conformer ses
mouvements ; mais ce n'est que l'extérieur de la chose ; il faut arriver à danser
sans raideur, sans trouble, et par conséquent sans peur. De même c'est peu de
chose de connaître les règles de la politesse ; et, même si on s'y conforme, on
ne se trouve encore qu'au seuil de la politesse. Il faut que les mouvements
soient précis, souples, sans raideur ni tremblement ; car le moindre tremble-
ment se communique. Et qu'est-ce qu'une politesse qui inquiète ?
J'ai remarqué souvent un son de voix qui est par lui-même impoli ; un
maître de chant dirait que la gorge est serrée et que les épaules ne sont pas
assez assouplies. La démarche même des épaules rend impoli un acte poli.
Trop de passion ; assurance cherchée ; force rassemblée. Les maîtres d'armes
disent toujours : « Trop de force » ; et l'escrime est une sorte de politesse, qui
conduit aisément à toute la politesse. Tout ce qui sent le brutal et l'emporté est
impoli ; les signes suffisent ; la menace suffit. On pourrait dire que l'impoli-
tesse est toujours une sorte de menace. La grâce féminine se replie alors et
cherche protection. Un homme qui tremble, par sa force mal disciplinée, que
dira-t-il s'il s'anime et s'emporte ? C'est pourquoi il ne faut point parler fort.
Alain, Propos sur le bonheur (1928) 174
Qui voyait Jaurès dans un salon voyait un homme peu soucieux de l'opinion et
des usages, et souvent mal cravaté ; mais la voix était toute une politesse, par
une douceur chantante où l'oreille ne découvrait aucune force ; chose
miraculeuse, car chacun avait souvenir de cette dialectique métallique et de ce
rugissement, voix du peuple lion. La force n'est pas contraire à la politesse ;
elle l'orne ; c'est puissance sur puissance.
Un homme impoli est encore impoli quand il est seul ; trop de force dans
le moindre mouvement. On sent la passion nouée et cette peur de soi qui est
timidité. Je me souviens d'avoir entendu un homme timide qui discutait
publiquement de grammaire ; son accent était celui de la haine la plus vive. Et,
comme les passions se gagnent bien plus vite que les maladies, je ne m'étonne
jamais de trouver de la fureur dans les opinions les plus innocentes ; ce n'est
souvent qu'une sorte de terreur qui s'accroît par le son même de la voix, et par
de vains efforts contre soi-même. Et il se peut que le fanatisme soit d'abord
impolitesse ; car ce que l'on exprime, même sans le vouloir, il faut bien qu'à la
fin on le ressente. Ainsi le fanatisme serait un fruit de timidité ; une peur de ne
pas bien soutenir ce que l'on croit ; enfin, comme la peur n'est guère suppor-
tée, une fureur contre soi et contre tous, qui communique une force redoutable
aux opinions les plus incertaines. Observez les timides, et comment ils
prennent parti, vous connaîtrez que la convulsion est une étrange méthode de
penser. Par ce détour on comprend comment une tasse de thé tenue à la main
civilise un homme. Le maître d'armes jugeait d'un tireur à la manière de faire [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]




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