Podobne

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qui recueille ces perceptions ou plutôt qui va au-devant d'elles est tout l'inver-
se d'une idée : c'est une volonté, d'ailleurs limitée sans cesse par la volonté
divine. Le point de rencontre de ces deux volontés est justement ce que nous
appelons la matière. Si le percipi est passivité pure, le percipere est pure
activité. Esprit humain, matière, esprit divin deviennent donc des termes que
nous ne pouvons exprimer qu'en fonction l'un de l'autre. Et le spiritualisme de
Berkeley se trouve lui-même n'être qu'un aspect de l'une quelconque des trois
autres thèses.
Ainsi les diverses parties du système s'entrepénètrent, comme chez un être
vivant. Mais, comme je le disais au début, le spectacle de cette pénétration
réciproque nous donne sans doute une idée plus juste du corps de la doctrine ;
il ne nous en fait pas encore atteindre l'âme.
Nous nous rapprocherons d'elle, si nous pouvons atteindre l'image
médiatrice dont je parlais tout à l'heure,  une image qui est presque matière
en ce qu'elle se laisse encore voir, et presque esprit en ce qu'elle ne se laisse
Henri Bergson, La pensée et le mouvant Essais et conférences. 73
plus toucher,  fantôme qui nous hante pendant que nous tournons autour de la
doctrine et auquel il faut s'adresser pour obtenir le signe décisif, l'indication de
l'attitude à prendre et du point où regarder. L'image médiatrice qui se dessine
dans l'esprit de l'interprète, au fur et à mesure qu'il avance dans l'étude de
l'Suvre, exista-t-elle jadis, telle quelle, dans la pensée du maître ? Si ce ne fut
pas celle-là, c'en fut une autre, qui pouvait appartenir à un ordre de perception
différent et n'avoir aucune ressemblance matérielle avec elle, mais qui lui
équivalait cependant comme s'équivalent deux traductions, en langues diffé-
rentes, du même original. Peut-être ces deux images, peut-être même d'autres
images, équivalentes encore, furent-elles présentes toutes à la fois, suivant pas
à pas le philosophe, en procession, à travers les évolutions de sa pensée. Ou
peut-être n'en aperçut-il bien aucune, se bornant à reprendre directement
contact, de loin en loin, avec cette chose plus subtile encore qui est l'intuition
elle-même ; mais alors force nous est bien, à nous interprètes, de rétablir
l'image intermédiaire, sous peine d'avoir à parler de l' « intuition originelle »
comme d'une pensée vague et de l' « esprit de la doctrine » comme d'une
abstraction, alors que cet esprit est ce qu'il y a de plus concret et cette intuition
ce qu'il y a de plus précis dans le système.
Dans le cas de Berkeley, je crois voir deux images différentes, et celle qui
me frappe le plus n'est pas celle dont nous trouvons l'indication complète chez
Berkeley lui-même. Il me semble que Berkeley aperçoit la matière comme une
mince pellicule transparente située entre l'homme et Dieu. Elle reste transpa-
rente tant que les philosophes ne s'occupent pas d'elle, et alors Dieu se montre
au travers. Mais que les métaphysiciens y touchent, ou même le sens commun
en tant qu'il est métaphysicien : aussitôt la pellicule se dépolit et s'épaissit,
devient opaque et forme écran, parce que des mots tels que Substance, Force,
Étendue abstraite, etc., se glissent derrière elle, s'y déposent comme une cou-
che de poussière, et nous empêchent d'apercevoir Dieu par transparence.
L'image est à peine indiquée par Berkeley lui-même, quoiqu'il ait dit en
propres termes « que nous soulevons la poussière et que nous nous plaignons
ensuite de ne pas voir ». Mais il y a une autre comparaison, souvent évoquée
par le philosophe, et qui n'est que la transposition auditive de l'image visuelle
que je viens de décrire : la matière serait une langue que Dieu nous parle. Les
métaphysiques de la matière, épaississant chacune des syllabes, lui faisant un
sort, l'érigeant en entité indépendante, détourneraient alors notre attention du
sens sur le son et nous empêcheraient de suivre la parole divine. Mais, qu'on
s'attache à l'une ou à l'autre, dans les deux cas on a affaire à une image simple
qu'il faut garder sous les yeux, parce que, si elle n'est pas l'intuition géné-
ratrice de la doctrine, elle en dérive immédiatement et s'en rapproche plus
qu'aucune des thèses prise à part, plus même que leur combinaison.
Pouvons-nous ressaisir cette intuition elle-même ? Nous n'avons que deux
moyens d'expression, le concept et l'image. C'est en concepts que le système
se développe ; c'est en une image qu'il se resserre quand on le repousse vers
l'intuition d'où il descend : que si l'on veut dépasser l'image en remontant plus
haut qu'elle, nécessairement on retombe sur des concepts, et sur des concepts
plus vagues, plus généraux encore, que ceux d'où l'on était parti à la recherche
de l'image et de l'intuition. Réduite à prendre cette forme, embouteillée à sa
sortie de la source, l'intuition originelle paraîtra donc être ce qu'il y a au
monde de plus fade et de plus froid : ce sera la banalité même. Si nous disions,
par exemple, que Berkeley considère l'âme humaine comme partiellement
Henri Bergson, La pensée et le mouvant Essais et conférences. 74
unie à Dieu et partiellement indépendante, qu'il a conscience de lui-même, à
tout instant, comme d'une activité imparfaite qui rejoindrait une activité plus
haute s'il n'y avait, interposé entre les deux, quelque chose qui est la passivité
absolue, nous exprimerions de l'intuition originelle de Berkeley tout ce qui
peut se traduire immédiatement en concepts, et pourtant nous aurions quelque
chose de si abstrait que ce serait à peu près vide. Tenons-nous-en à ces for-
mules, puisque nous ne pouvons trouver mieux, mais tâchons d'y mettre un
peu de vie. Prenons tout ce que le philosophe a écrit, faisons remonter ces
idées éparpillées vers l'image d'où elles étaient descendues, haussons-les,
maintenant enfermées dans l'image, jusqu'à la formule abstraite qui va se
grossir de l'image et des idées, attachons-nous alors à cette formule et
regardons-la, elle si simple, se simplifier encore, d'autant plus simple que nous
aurons poussé en elle un plus grand nombre de choses, soulevons-nous enfin
avec elle, montons vers le point où se resserrerait en tension tout ce qui était
donné en extension dans la doctrine : nous nous représenterons cette fois
comment de ce centre de force, d'ailleurs inaccessible, part l'impulsion qui
donne l'élan, c'est-à-dire l'intuition même. Les quatre thèses de Berkeley sont
sorties de là, parce que ce mouvement a rencontré sur sa route les idées et les
problèmes que soulevaient les contemporains de Berkeley. En d'autres temps,
Berkeley eût sans doute formulé d'autres thèses ; mais, le mouvement étant le
même, ces thèses eussent été situées de la même manière par rapport les unes
aux autres ; elles auraient eu la même relation entre elles, comme de nouveaux
mots d'une nouvelle phrase entre lesquels continue à courir un ancien sens ; et
c'eût été la même philosophie.
La relation d'une philosophie aux philosophies antérieures et contempo-
raines n'est donc pas ce que nous ferait supposer une certaine conception de
l'histoire des systèmes. Le philosophe ne prend pas des idées préexistantes
pour les fondre dans une synthèse supérieure ou pour les combiner avec une
idée nouvelle. Autant vaudrait croire que, pour parler, nous allons chercher
des mots que nous cousons ensuite ensemble au moyen d'une pensée. La
vérité est qu'au-dessus du mot et au-dessus de la phrase il y a quelque chose
de beaucoup plus simple qu'une phrase et même qu'un mot : le sens, qui est
moins une chose pensée qu un mouvement de pensée, moins un mouvement
qu'une direction. Et de même que l'impulsion donnée à la vie embryonnaire
détermine la division d'une cellule primitive en cellules qui se divisent à leur
tour jusqu'à ce que l'organisme complet soit formé, ainsi le mouvement [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]




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